[Design 2.0 2020] Didier Desmet, Artiste Infirme Moteur Cérébral [Textes et fragments, Photographie, Graphisme, Dessin] [Artiste Infirme Moteur Cérébral] [Infirmité Motrice Cérébrale] [IMC] [Paralysie Cérébrale] [Cerebral Palsy] [Handicap] [Kawaii]
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Didier Desmet, Artiste I.M.C. Ecrits   Textes et fragments Monographie
 
LA PELUCHE BORGNE.
 
« Apeuré par le vacarme des machines et les voix qu’il ne cesse d’entendre dans la nuit, un petit ours en peluche veille courageusement sur le sommeil de son meilleur ami. »

La pénombre recouvre encore la chambre de Martial de son triste voile.
Une sonnerie retentie. Le jeune homme, à peine réveillé, passe machinalement la main sur l’oreiller situé à sa gauche. Son compagnon, Gaël, de cinq ans plus jeune que lui, n’est pas là. Il est infirmier hospitalier et passe parfois ses nuits à assurer les gardes.
Martial se lève et règle la sonnerie de son réveil sur onze heure. Il tire les rideaux de sa chambre puis ouvre la fenêtre. Le jour commence à peine à se lever. Il fait frais. Il reste pensif accoudé à la fenêtre. Une larme coule sur sa joue.

Il se dirige, le regard brumeux, vers la cuisine. Il prépare son petit déjeuner – deux tranches de pain grillées qu’il tartine de confiture à la rhubarbe et un bol de café noir. L’odeur du café le plonge dans ses pensées… Il se souvient du jour où Gaël est entré dans sa vie dix ans auparavant…

Gaël travaillait comme serveur, afin de pouvoir payer ses études d’infirmier, dans un petit bistro où Martial aimait flâner pour écrire et dessiner. Gaël, à peine âgé de 20 ans, s’était dirigé vers lui avec une arrogance telle que Martial répondit sans même qu’il ait eu le temps de lui demandé quoique ce soit :

« - Ce sera juste un café pour moi ! Ni sucre, ni lait ! Merci »

Gaël, vexé mais néanmoins touché par l’indifférence de ce client revêche et énigmatique, lui apporta son café. Intrigué, il regarda par-dessus l’épaule de ce dernier afin d’apercevoir ce qu’il dessinait et s’écria :

« - Pas mal ! Le trait est maîtrisé ! »

Martial leva la tête et examina le serveur qu’il avait jugé trop arrogant sans doute à tort et qui se tenait devant lui, les yeux pétillants et arborant un sourire qui le troubla fortement. Il se contenta, alors, d’un signe de la tête et regarda Gaël s’éloigner. Il l’observait papillonner de table en table. Il ne pouvait plus le quitter du regard. Il imagina, non sans pudeur, sa nudité et prit son crayon afin de le croquer. Il resta assis à sa table durant des heures car il ne put se résigner à partir. Quel était cet ange impudent qui semblait lui être si familier ? Que penser de cette attirance soudaine pour ce jeune éphèbe dont l’insouciance n’avait d’égale que sa beauté… « Il est étrange, se dit-il, d’éprouver un tel désir pour lui alors que je ne supporte pas son effronterie de jouvenceau. »


Après avoir petit déjeuné, Martial regagne sa chambre. Il défait les draps, taies d’oreiller et housse de couette. Il s’aperçoit de l’absurdité de son geste pour l’avoir déjà fait la veille. Il se dit qu’il aurait pu tout aussi bien attendre aujourd’hui pour le faire. Il plie la couette en plume en quatre et la pose au pied du lit. « Tout doit être impeccablement rangé ! » Il sourit. Lui qui est si désordonné habituellement.

Il se rend dans la salle de bain, la literie sale à la main et la dépose dans le tambour du lave-linge. Il prend une douche. Il en ressort et jette sa serviette de bain et son gant de toilette avec le reste du linge sal et met le lave-linge en route.
Il s’approche du lavabo, cherche du regard sa brosse à dents sur la tablette et s’arrête sur l’après rasage de Gaël. Il s’y attarde longuement, avant de le prendre et d’en sentir son odeur. Le regard embrumé, il frissonne à l’idée de se retrouver bientôt dans ses bras.

Il va enfiler un jogging et un tee-shirt, tout deux de couleur noire qui appartiennent à Gaël… et met aux pieds les babouches que sa mère avait offertes à ce dernier après son voyage au Maroc. Celles-ci avaient l’air de n’avoir jamais été portées. Elle leur avait également ramené une jolie boîte en bois sculpté. Il se souvient parfaitement de son retour car la nuit qui suivit, il n’avait pas fermé l’œil de la nuit.

Il se dirige vers la baie vitrée du salon et ouvre les lourds rideaux de velours rouges qui la recouvrent. Le ciel est gris. Il pleut. Le salon est étonnamment bien rangé. Son regard se perd sur quelques photos disposées sur la table basse qu’il a laissée là après les avoir regardées la veille au soir. Il balaye du regard la pièce pensant voir la boîte offerte par sa mère afin d’y ranger les photos, puis cesse sa recherche comme s’il savait où elle se trouvait. Il s’assoit sur le canapé. Il s’attarde sur les photos et plonge, à nouveau, dans ses souvenirs…

On sonne. « Gaël ! » Il se rappelle que c’est impossible bien que Gaël oublie souvent ses clés. Il ouvre la porte. C’est le facteur qui lui apporte un recommandé. Il le signe et referme la porte déposant négligemment la lettre sur la console de l’entrée.

« La machine doit être terminée. » se dit-il. Il sort le linge et le met à sécher.

Il se rappelle qu’il n’a pas débarrassé la table de son petit déjeuner et espère que tout sera impeccable avant de retrouver Gaël.

Il va chercher le linge dans le sèche-linge et le range.

Il arrose les plantes qui se trouvent sur le balcon et s’allume une cigarette. « Ce sera la dernière ! » Combien de fois il s’est fait cette promesse ainsi qu’à Gaël. Mais il sait qu’il dit vrai. Cela a toujours était une source de dispute. Gaël ne supporte pas la fumée de cigarette et encore moins de voir l’homme qu’il aime en fumer une.

Le réveil sonne. Il est onze heure. Il se souvient…

Un an auparavant…

Le lendemain du retour de sa mère, Martial attend Gaël pour dîner et s’inquiète de son retard. Le téléphone sonne. Une collègue et amie de Gaël lui annonce, d’une voix tremblante, qu’ils l’ont retrouvé, non loin de l’hôpital, agonisant dans son sang. Il a de multiples fractures et de nombreuses plaies sur tout le corps faites, apparemment, avec les fragments de bouteilles en verre retrouvées près de lui. Il est actuellement au bloc opératoire. Il se met en route sans même avoir raccroché.
Arrivé à l’hôpital, il est interrogé par la police.
Il attend dans un des couloirs que l’on veuille bien lui donner des nouvelles de l’homme qu’il n’a cessé d’aimer neuf ans durant. Le docteur lui annonce que Gaël est dans le coma et qu’il doute qu’il en sorte.


Le jour-même, non loin de 11h, dans une chambre d’hôpital.

Gaël est là, allongé dans un lit immaculé, endormi. Il est entouré de sa famille et des parents de Martial. Le docteur entre dans la chambre est demande si tout le monde est présent et constate que Martial n’est pas là. Il s’adresse à ses parents soulignant son étonnement car Martial a toujours rendu visite à Gaël pendant un an et que la veille encore, il était là. Sa mère répond qu’il lui avait confié que c’était au dessus de ses forces et qu’il ne tenait pas à être présent.
Le docteur demande aux personnes présentes si elles sont prêtes et, au milieu des sanglots, débranche les machines. « Heure du décès, onze heure. »

11h00, sur le balcon de l’appartement.

Le réveil sonne. Il est onze heures. Il se souvient… Il écrase sa cigarette, retire sa bague, hôte ses babouches et saute… Il est étendu sur le trottoir jonché des photos et des débris de la boîte qu’il avait jetée la veille pour oublier. Oublier l’enfer qu’il a vécu un an durant sans Gaël à ses côtés pour sécher ses larmes.

« Seul et peiné par la disparition de son meilleur ami, la peluche borgne partage, désormais, une étagère avec la photographie de Gaël et Martial. »

Didier Desmet.
Février 2012
 
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